David Herbert Lawrence (sur la photo avec son grand ami A. Huxley) eut à cœur tout au long de son œuvre de combattre les excès destructeurs du monde matérialiste moderne. Pour Lawrence, l’humanité a cherché, dans son arrogance intellectuelle, à se couper de la nature et de l’instinct. L’homme civilisé est cet animal désuni, coupé de et en lui-même. Le psychanalyste australien D. Tacey dans son essai "the edge of the Sacred: Jung, Psyche, Earth" ajoute que Lawrence sentit, comme Freud et C G Jung, que le conscient s’était désolidarisé de l’inconscient profond et que nos sociétés modernes rationnelles conscientes manquaient de reliance compensatoire avec le champs du primitif qui nous est indispensable à la vie. Cette part sauvage, primitive, instinctive et inaccessible à la raison est notre puits de vie duquel on ne peut se couper sans mourir.
En voyageant dans l’Italie du début du 20eme siècle notamment et plus tard en Australie, Lawrence saisit très bien le clivage, la rupture qui se vivait entre la société moderne et l´âme du territoire. Ses voyages lui permirent d’éprouver et puis d’écrire que la société humaine est nourrie par 2 sources principales: l’esprit de la nature et l’esprit de la culture. Cet esprit de la nature, c’est la nourriture qui vient d’en-bas, qui vient de la nature, des énergies vitales de la terre. Cette couche primaire sombre et païenne. Lawrence est convaincu qu’il nous faut nous relier à nouveau à cette force vitale.
Un auteur à découvrir ou redécouvrir car il fut et reste beaucoup plus que l’auteur de "l'amant de lady Chatterley"...
Je vous propose une traduction d'un de ses poèmes les plus emblématiques des thèmes évoqués ici: "the triumph of the machine" ( ici en anglais)
Le triomphe de la machine
(DH Lawrence)
Ils parlent du triomphe de la machine,
mais la machine ne triomphera jamais.
Sur les milliers et les milliers de siècles de l'homme
Les fougères qui se déroulent, les langues blanches de l'acanthe qui lèchent le soleil,
Le temps d’un triste siècle
les machines ont triomphé, nous ont fait rouler de ci de là,
secouant le nid de l'alouette jusqu'à ce que les œufs se soient cassés.
Bouleversés les marais, jusqu'à ce que les oies aient fui
et les cygnes sauvages envolés en nous chantant le chant du cygne.
Durement, durement sur la terre, les machines roulent,
mais sur certains cœurs, elles ne rouleront jamais.
L'alouette niche dans son cœur
et le cygne blanc nage dans les marais de ses reins,
et à travers les vastes prairies de sa poitrine un jeune taureau rassemble ses vaches,
des agneaux fouillent parmi les pâquerettes de son cerveau.
Et enfin
toutes ces créatures qui ne peuvent pas mourir, refoulées
dans les coins les plus reculés de l'âme, enverront le cri sauvage du désespoir.
L'alouette palpitante dans un désespoir sauvage trillera des flèches depuis ciel,
le cygne battra les eaux avec rage, la rage blanche d'un cygne enragé,
même les agneaux tendront le cou à la manière des serpents,
comme des serpents de haine, contre l'homme dans la machine:
même le tremblant peuplier blanc lancera contre lui un éblouissement comme des éclats de verre.
Et contre cette révolte intérieure des créatures indigènes de l'âme
L’homme mécanique, assis triomphant sur le siège de sa machine
sera impuissant, car aucun moteur ne peut atteindre les marais et les profondeurs d'un homme.
Ainsi l’homme mécanique assis triomphant sur le siège de sa machine sera porté vers la folie depuis les profondeurs de lui-même, et deviendra aveugle, et ce jour-là
les machines se retourneront pour se précipiter l’une contre l’autre
le trafic s'emmêlera dans un long et étiré carambolage de collision
et les moteurs se précipiteront sur les maisons solides, l'édifice de notre vie
vacillera sous le choc de la machine folle, et la maison s'effondrera.
Puis, bien au-delà de la ruine, dans le lointain, depuis les lieux extrêmes et reculés
le cygne relèvera sa tête aplatie et infatuée
et regardera autour de lui, et se lèvera, et avec les grandes voûtes de ses ailes balayera en cercle et vers le haut pour saluer le soleil avec l’éclat soyeux d'un nouveau jour
et l'alouette fera entendre ses trilles, sans colère à nouveau,
et les agneaux mordront la tête des pâquerettes gaiement.
Mais au milieu de la terre sera la ruine enfumée de l’acier
le triomphe de la machine.
(trad. C. Poelmans)
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