Feu et l’axis mundi

Sagesse autour du feu

Extrait de « Confessions of a Radical Traditionalist » de John Michell

(Traduction: C. Poelmans)

En réfléchissant, comme je le fais souvent, à la question de savoir comment et quand le monde est devenu fou, j'ai récemment fait une avancée importante. Cela a à voir avec le désinvestissement du foyer ou du feu de bois.

La forme d'habitation la plus ancienne et la plus satisfaisante est la « hutte primitive ». Faite simplement de bâtons, de pierres, de boue ou de tout ce qui est à portée de main, elle a un mur circulaire et un toit de chaume conique avec une ouverture au sommet pour laisser échapper la fumée du feu central. Ses habitants sont assis autour d’un centre de pierre carré où le feu chauffe une marmite suspendue à une chaîne.

Les anthropologues ont constaté que cet arrangement pratique est partout considéré comme un schéma cosmologique. Au sein de la circonférence du mur, représentant un univers limité, ce centre de pierre où brûle le feu est le corps de la terre, présentant quatre coins et quatre directions, et c'est le siège de Hestia la déesse de la terre et du foyer ( en anglais le mot hearth contient hearth-foyer et earth- terre ndt), dont les énergies sont concentrées dans le feu central . La chaîne est l’axe du monde, le lien entre le ciel et la terre et le moyen de communiquer avec les dieux et les esprits. La conversation est dirigée vers le feu tandis que les rêves et les images en émergent. C'est trop enfumé pour lire ou regarder des photos.

Les yeux et les esprits sont concentrés sur le point focal. Dans cette situation, assis en bonne compagnie autour d'un feu sur lequel mijote une marmite, on est susceptible de se sentir "centré" et à l'aise.

On parle toujours de s'asseoir "autour" d'un feu, même si la cheminée moderne se trouve sur le côté d’une pièce rectangulaire et qu'on s'assoit en fait devant. Avec ce nouvel arrangement, l'influence de l'ancienne imagerie cosmologique est devenue inactive et les pensées sont devenues moins centrées. Maintenant, même le feu ouvert dans le mur a été aboli dans de nombreuses maisons et le focus principal se troune vers la cuisinière électrique ou le téléviseur vacillant.

Ainsi, la cosmologie traditionnelle n'est plus représentée par ses symboles domestiques, et une nouvelle vision du monde, laïque, agitée, décentrée a pris sa place.

Focus, signifiant un centre qui reçoit et émet des rayons de lumière, est le nom latin qui décrit ce feu central. Le feu non seulement réchauffe mais, en tant que symbole, éclaire (révèle ndt) les images qui évoquent un centre qui nous apprend sur nos propres êtres et sur un centre du monde qui est divin, éternel et immuable.Pour calmer l'esprit et lui restituer son ordre, rien ne remplace un foyer placé au centre. Nous vivons confortablement avec nos machines domestiques modernes - gramophone, télévision, chauffage central - mais avec ces accessoires, nous ne sommes pas exactement centrés. Nous sommes distraits, détachés des réalités des rêves et des fantaisies ( fonction imaginante de la psyché ndt) centrés sur nos propres foyers et esprits, et dérivant sans orientation dans une mer de fantasmes aliénants.Les constructeurs de maisons modernes nous ont donné des niveaux élevés de confort et d'hygiène, tout en ignorant la nécessité psychologique d'un point de centrage, un focus; et par l'absence d'un centre cosmologiquement significatif, nos esprits se sont déséquilibrés.

Il est ironique que tant d'endroits soient appelés centres d'art, centres culturels, etc., alors qu'ils n'ont pas de centre du tout mais dérivent sur des marées erratiques de la mode et de croyances.

Ils devraient mettre un poteau au milieu, allumer un feu à sa base, en faire un symbole de beauté et de vérité éternelles et inviter les habitants à concentrer sur ce feu leur esprit, élevant ainsi le niveau de leurs œuvres d'art.

Maintenant je sais comment le monde est devenu fou. Nous en avons fait tomber le centre, et depuis, nous nous efforçons de le chercher, confondant nos propres obsessions ou celles des autres avec la réalité.

John Michell