Lecture pour l'année prochaine....
Martin Shaw, le mythologue anglais et son livre "Courting the wild twin". J'ai bien envie de m'arrêter à chaque mot et prendre le temps de laisser ce texte pénétrer dans chaque pore de la peau...ci-dessous je vous propose une rapide traduction de l’intro publiée sur FB par l’auteur.
Attention il y a plus de 140 caractères..." Les contes de fées nous racontent que nous sommes nés avec un jumeau secret, un jumeau sauvage, qui, au moment de sa naissance fut envoyé en exil, abandonné dans la forêt. Et une vie réussie serait une vie qui s’est mise en quête pour le retrouver. Qui est le jumeau sauvage ?
La première fois que j’ai saisi le parfum de mon jumeau sauvage, c’était quand j’avais 6 ans et que je marchais avec mes bottes boueuses dans les herbes mouillées jusqu’à ma cabane dans un bois broussailleux. Alors que les arbres tourbillonnaient, j’ai perçu une odeur et j’ai commencé à pleurer sans comprendre. J’ai tressé une plume de faisan dans mes cheveux. Je l’entends maintenant dans le hululement du hibou faisant la cour à une femelle et qui résonne à travers l’herbe gelée et les pelouses de mon chalet caressées par la lune. Il y a plus dans ce délire froid qu’un truc pour intellectuels. Il ne s’agit pas ici de tons habituels, de sons bien apprivoisés, mais quelque chose d’aussi lâché que des poneys du Dartmoor sur la colline. Ils me procurent l’extase. Pas la sécurité, pas le contentement, certainement pas la facilité, pas la paix, mais l’extase. C’est presque douloureux. Ca me rend agité.J’ai aussi senti la présence du jumeau sauvage quand j’ai perdu la fille que j’aimais le plus. Je l’ai senti en assistant à la maladie d’une autre. Je l’ai senti quand j’étais épuisé, le cœur endolori, égaré et désespéré. Je l’ai ressenti lorsque je me suis occupé des chagrins de la vie dans toute leur manifestation radicale et indisciplinée.Le jumeau sauvage ne m’est pas propre, vous en avez un, tout le monde en a un. C’est le message que racontent les vieilles histoires, que le jour de votre naissance, un jumeau a été jeté par la fenêtre et envoyé en exil ; qu’il erre dans les bois et les prairies et les villes, souffrant dans tout son corps de votre absence. Il loge dans des maisons abandonnées au Sud de Chicago. Quelqu’un l’a vu une fois sur une plage du Dorset en hiver. Les jumeaux demandent toujours après vous.Il vit dans la sensation que laisse la boue rouge du Nil lorsqu’elle se faufile entre vos orteils, lorsque la lumière de la lune glisse du bec d’un héron, lorsque vous jouez aux cartes avec un adorable méchant. Il va parfois vous pousser vers la ruine et peut être très généreux envers les enfants. Il va cacher votre ordinateur portable et envoyer un millier d’oies sauvages au-dessus de votre cabane un soir ensoleillé d’octobre. Le jumeau sauvage est le glorieux vigneron du sang vineux de vos nombreuses batailles intimes qu’il vendra à prix d’or à de lointaines reines arméniennes. Il est incorrigible, mélodramatique et a à cœur de défendre vos intérêts.Sachez qui est votre jumeau et vous serez alors distraits par des anges passionnés traînant paresseusement autour de lieux anodins, vous frapperez sur des tambours que personne d’autre ne peut entendre et de subtiles idées s’échapperont de vous. En tout cas c’est ce que j’entends. Le jumeau sauvage ne fétichise pas la sécurité, ne vole pas de garanties ou, en fait, ne croit même pas qu’elles existent. Il cache du chocolat dans les poches de vos neveux aux cheveux ébouriffés et murmure des mots de pardon en marchant dans les jardins dont nous avons oublié de prendre soin. Il nous tend une bêche.Je crois que dans la tâche de devenir humain, il faut sérieusement partir à la recherche de ce personnage, car il a quelque chose d’important pour vous. Il détient le sens de votre vie plié dans sa poche. S’il y a quelque chose que vous êtes sensés faire pendant ces quelques brèves années de votre vie, vous pouvez être sûrs que le jumeau sauvage en possède la clé.La part sauvage attire tout le monde, mais semble être en pénurie. Pas la brute sauvage, pas le hooligan, pas le bagarreur, non, le sauvage majestueux. Le sauvage sophistiqué. Ainsi vous devriez vous rendre compte maintenant que ces mots parlent de localiser votre jumeau abandonné depuis longtemps et de lui faire la cour pour qu’il revienne à la maison. Nous utiliserons deux vieux contes de fées pour cela. Et notez bien le mot, « faire la cour ». C’est un travail de longue haleine que cette localisation, avec l’éventualité de pas mal de faux pas, de tibias meurtris et d’échanges sifflants. Même si elle désire votre relation, la jumelle n’est pas quelqu’un avec qui il est facile de composer si vous avez été séparés depuis longtemps, elle veut être sûre que vous êtes sérieux. Nous couvrirons toute la complexité de telles retrouvailles au fur et à mesure. Les jumeaux veulent vous frapper sur l’oreille et en même temps veulent vous embrasser sur les lèvres.Lorca affirme que « duende », le gobelin de la tourmente, est le personnage qui évoque le mieux ce jumeau. Duende est la conscience que tout cela a une fin, qu’à nos ailes sont attachées des lames rouillées qui raclent les limites poussiéreuses de la terre. J’ai écrit un peu plus haut que le parfum du jumeau sauvage ne fournissait pas un sentiment de sécurité mais plutôt un sentiment d’agitation. Le monde vous pousse vers la poésie en retirant quelque chose pas en vous faisant un don. Les plus grands poèmes ne sont pas écrits par la femme qui vient de recevoir le dernier baiser, ils sont écrits par la femme qui ne l’a pas reçu. Et, c’est dans cette absence, dans cette douloureuse conscience que réside le duende. Le grain, le mouvement qui boite, la gifle, le recul, nous commençons à comprendre pourquoi la société aux bonnes manières a condamné à l’exil le jumeau sauvage.Mais le prix que nous payons pour son absence est terriblement élevé. Nous existons dans la conséquence de celle-ci.Sans jumeau, comme le disait Robert Bly, nous préservons la vie mais nous ne donnons pas la vie. Et il n’y a pas cette impétuosité sacrée qui appelle les énergies spirituelles de l’univers. Le jumeau sauvage lance les dés de temps en temps. Sans éros, sans risque, aucune culture ne vaut la peine d’être façonnée. Il s’agit donc d’une entreprise dangereuse pour celui qui convoque ces énergies latentes exilées. Mais que la vérité soit dite et clouée sur le mur de la taverne, il est bien plus dangereux de ne pas le faire. Je ne suis pas sûr que nous réussissions véritablement, correctement à renouer avec notre jumeau sauvage, à s’acheter le même pull. La quête est le truc, le contact furtif est le truc, la secousse de leur nature quichotesque pourrait être un baromètre suffisant, pour toute une vie. Mais ne pas partir en quête ? Et bien ça serait passer complètement à côté de sa vie.
"Copyright Martin Shaw 2019."
Traduction: Christian Poelmans