Depuis 1919, Robinson Jeffers vit dans un cottage qu’il construit lui-même sur les falaises qui surplombent le Pacifique entreCarmel by the seaetBig Sur. Son pessimisme envers l'humanité le conduit à se retirer peu à peu de la société et à entrer dans un face à face tragique avec la nature. L'inspiration de sa poésie est puisée dans la beauté sauvage de la côte californienne, dans la littérature antique, les tragiques grecs, la philosophie nietzschéenne, le pessimisme schopenhauerien et spenglerien. ( Source Wikipedia)
"come, little birds" est un poème qui relate une expérience de rencontre avec les morts pendant une séance de transe à coloration chamanique.
La forme s’oriente vers le style épique qui caractérise souvent Jeffers.
Les thèmes touchent ici aussi à une expérience de la nature plus grande que nos préoccupations humaines....
Come, little birds (R. Jeffers)
Venez, petits oiseaux
(trad. C. Poelmans)
Je payai la femme ce qu’elle demandait et la suivis sur la rive,
et ses deux fils
Descendirent derrière nous; le premier portait une pique, l’autre tenait
le veau noir et l’attacha étroitement
Au tronc d’un platane surplombant la berge. Nous étions près du pied
des montagnes, là où la rivière Sur
Se déverse depuis les gorges, écumant parmi les grands rochers; et le soir était tombé
Mais la lumière était encore claire. La vieille femme nous emmena sur une langue de terre
herbeuse sous la berge;
Un des garçons rassembla du bois sec pour le feu, l’autre nettoya et
répara une petite tranchée peu profonde
Qui entaillait la terre à cet endroit; ensuite ils entassèrent les bois et firent
une flamme jaune, à environ dix pieds de la tranchée
Du côté Nord, juste près de l’eau; la femme s’assit face au feu,
regardant vers le Nord,
Son dos appuyé contre un énorme rocher.
Elle ferma les yeux et murmura une
musique sans mélodie, hochant sa tête de vautour
Sur un rythme sourd; à travers lequel on pouvait entendre le feu ronfler et la rivière
couler et les vagues rouler sur la plage
Par de-là la colline. Après un certain temps elle ouvrit grand les yeux,
et ils roulèrent
Sous son front, je vis la lumière du feu
Vaciller dans le vide du blanc de ses yeux; elle leva les bras et se mit à crier
D’une voix puissante. Instantanément ses deux garçons allèrent chercher le veau noir
qui se ruait et se débattait,
Ils lui attachèrent les pattes de derrière avec un noeud serré, et passèrent la boucle de la corde
autour d’une branche du platane
Qui pendait au-dessus du cours d’eau et de la tête de la tranchée; ils tirèrent
ses pattes arrières, de telle sorte qu’il tomba
Sur les genoux de ses pattes avant sur la tête de la tranchée. Ensuite l’un des deux
jeunes hommes égorgea le veau
De son couteau aiguisé, le maintenant par une oreille alors que l’autre le tenait par l’autre oreille et
les naseaux, et le sang jaillit
Dans le sillon. La femme, tremblant convulsivement: « venez petits
oiseaux, »
Elle criait à travers sa gorge serrée comme quelqu’un qu’on étranglait,
« mettez la vie, voici le sang, venez oiseaux gris. »
À ce moment
la nuit profonde était tombée,
Et le feu s’était réduit à des braises rouges; on entendait un murmure le long de la rive de la rivière
comme si un vent marin se déplaçait
À travers la forêt sombre; c’est alors que je distinguai faiblement dans la lumière des braises la
vapeur qui grimpait dans l’air froid
En provenance du sang chaud et qui restait en suspend au-dessus de la tranchée
Mouvante, comme si des personnes penchées étaient en train de le mélanger; des murmures
distants commencèrent à se lever de la tranchée
Et des formes grises se mirent à bouger. Le premier, sec comme un fil dit: « hors de mon chemin, bande de racailles. »
Un autre repondit « recule.
Tu as eu ton tour. »
Il s’agissait sans hésitation des âmes des morts, dont
la femme aux yeux sombres
M’avait promis la venue pour me dire ce que je voulais savoir: ils ressemblaient plutôt à des moutons
brillants comme des étoiles,
Menés à travers la poussière toute la journée et, la nuit arrivée,
se blotissant dans un coin du chemin, effrayés par les chiens,
Gris et fatigués, et si l’un d’eux se glisse dessous les autres le piétinent.
Un des garçons de la
vieille femme
Ralluma lentement le feu éteint avec des feuilles séchées et des brindilles, de telle sorte que la lumière
augmenta imperceptiblement,
Pourtant beaucoup de ceux qui étaient présents dans ce groupe qui chuchotait s’éloignèrent effrayés. de ceux qui restèrent, certains encore avides se recroquevillèrent
Au-dessus de la tranchée pleine de sang, d’autres debout hésitaient comme de longues et pâles mauvaises herbes aquatiques : Je
m’approchai d’eux,
Ils soupirèrent et chuchotèrent, se penchant loin de moi comme des mauvaises herbes aquatiques enracinées.
Je dis : « si vous êtes les âmes des morts,
Et que la transe de cette vieille femme et le sang chaud vous rendent capables de
répondre – » Et j’allais ajouter :
« Alors dites-moi ce qu’est la mort : est-ce comme le sommeil ou comme être éveillé, est-ce captivité ou liberté, rêve ou réalité ? » - Mais ils murmurèrent
Entendant ma voix : « Nous savons, nous savons, nous savons, » ondulant
comme des herbes aquatiques : alors l’un d’eux se pencha vers moi
Et dit : « Dites à ma mère. » « Quoi ? » demandai-je. « Dites-lui que j’allais bien
Avant que ce vieux busard ne me réveille. Je suis mort dans l’hôpital de campagne – » Une autre
silhouette vint à sa rencontre et dit
« Dieu maudit tout homme qui fait la guerre ou la projette. » ( Nous étions en 1920,
environ deux ans
Après l’armistice.) « Dieu maudit chaque membre du Congrès qui la vota, Dieu Maudit
Wilson, » son visage comme une hache
Passa entre mes yeux et le feu et il pénétra la pénombre au-delà
du cercle de lumière. Je demandai à l’autre
« Comment s’appelle ta mère ? » Mais il ne répondit pas, mais il eut juste ce regard vers
moi. Je dis : « habite-t-elle sur la côte
Ou à Monterey ? » Il me regarda et frappa son front puis s’écarta.
D’autres
s’approchèrent de moi, deux qui
Paraissaient être des femmes ; mais à ce moment je distinguai une silhouette connue, grande, décharnée, grisonnante,
et les épaules si voutées
Qu’elles avaient l’air de bosses ; il se pencha sur le feu et réchauffa ses vieilles
mains grisonnantes. J’évitai les autres
Silhouettes mortes et me dirigeai vers lui ; mon cœur tremblait
Et mes yeux étaient mouillés. « Père, » dis-je. Il me répondit distinctement : « C’est toi,
Robin ? » Je dis « Père,
Pardonne-moi. J’ai déshonoré et galvaudé tous les espoirs que tu avais mis en moi, l’un après l’autre ; et pourtant
Je t’ai bien aimé. »
Il sourit calmement et répondit : « Je suppose que l’espoir est une ineptie. Nous apprenons
cela
Avant de mourir. Nous n’apprenons rien, dit-il, après. » Je restai ensuite silencieux,
repris mon souffle et demandai :
« C’est dormir ? » « Avec un rêve parfois. Mais dont le rêveur fait le deuil de manière bien moins sanglante, » dit-il « ou dont il peut se réjouir ;
Et bientôt, je suppose, même ce léger écho de la conscience
qui me fait te parler
Se dissoudra dans le flot. » Il sourit et frotta ses mains grises
et dit ; « Amen. Si tu reviens
À Endor à nouveau, je ne serai plus présent. » Ensuite j’éprouvai l’envie de lui donner
De nos petites nouvelles : que son nom se perpétuerait dans le monde, car nous avions deux
garçons maintenant ; que ma mère et mon frère
Se portaient bien ; et aussi comment s’était terminée la grande guerre, car il était mort
Dans son cinquième mois. Il fut patient et me laissa parler, mais clairement ne s’en souciait pas du tout.
Entretemps la femme
S’était mise à grogner dans sa transe ; Je remarquai que les formes des morts changeaient
en fonction de sa respiration : quand elle inspirait
Les silhouettes se faisaient plus présentes, quand elle retenait sa respiration elles
s’évanouissaient. Mais maintenant elle était épuisée, sa respiration
Ressemblait à un râle d’agonie, avec des pauses terrifiantes entre les inspirations. L’un de
ses garçons courut auprès d’elle pour la restaurer ;
L’autre rechargea richement le feu, faisant
S’enfuir les morts pâles ; mais l’un d’eux se précipita vers moi,
mince et nu, je vis la lumière du feu
Qui brillait sur ses cuisses nues ; elle me dit « je suis Tamar Cauldwell de Lobos :
écrivez mon histoire. Dites-leur que
J’ai mes désirs. » Elle passa devant moi et disparut comme une lanterne dans la pénombre
du bois.
Ce fut tout. Les jeunes hommes
Transportèrent leur mère à la cabane ; Je restai seul près du feu
toute la nuit, étudiant
Ce que j’avais entendu et vu, jusqu’à ce qu’une aube jaune se lève au-dessus de la montagne.
Était-ce
Tout ? Je ne le pensais pas.
Il me vint que ces ombres décadentes et ces échos de personnalité sont seulement un jeu de scène secondaire ; ils ne sont pas l’esprit
Que nous voyons chez la personne aimée, ou chez le saint ou le héros
Qui brille à travers la chair. Et je l’ai vu briller depuis une montagne à travers
la roche, et même depuis un vieil arbre
À travers son écorce dure. L’esprit (pour lui donner un nom : comment pourrais-je l’appeler autrement ?)
n’est pas une qualité personnelle, n’est pas
Mortelle ; il va et vient, ne meurt jamais. On ne le trouve pas dans la mort : ne fouillez pas
le monde des ombres. Les morts
N’ont rien à nous dire. Nous avons des choses pour eux, mais ils ne s’en soucient pas. Paix à
eux.
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