Il y a presque10 ans j´avais écrit un carnet de bord pendant notre 4eme voyage avec ma bande de fidèles amis. Nous avions entrepris de marcher sur la West Highland Way, des faubourgs de Glasgow jusque Fort William.
j’ai remis la main sur le texte, qui vaut ce qu’il vaut, c’est-à-dire un petit récit de voyage sans prétention qui devait surtout illustrer un livre photos du périple. Mais derrière ce style et le contenu assez scolaire du début, je redécouvre dans les dernières lignes les prémisses de questions et thèmes qui m’accompagnent encore maintenant.
À part les amis qui pourraient trouver à sourire de ces souvenirs, il intéressera peut-être ceux qui comptent se lancer sur ce
parcours.
Vendredi 28 septembre – Le départ
Après avoir emmené les enfants à l'école, nous nous retrouvons tous les cinq chez François. Pierre est avec nous... en quelque sorte ! Une photo de son visage grandeur nature a été plastifiée par François et nous éclatons en premiers fous rires avec notre ami imperméabilisé.
La route vers Amsterdam est paisible, nous prenons le rythme du trafic hollandais qui respecte scrupuleusement les limitations de vitesse.
À Amsterdam, nous nous arrêtons dans un port réaménagé en parc industriel dans lequel se trouve un restaurant bio. De l'autre côté de l'étendue d'eau, on distingue le centre historique d'Amsterdam.
Après le repas, destination l'aéroport. Le « Hummer » (non ce n'est pas un vrai Hummer!) est garé dans le parking pour la semaine et nous nous faisons déposer par le service Budget-Parking à Schiphol.
Notre ami Pierre plastifié, nous aide à patienter...
À Glasgow, la pluie et le froid sont au rendez-vous. Cet accueil écossais est épicé par l'accent du chauffeur du bus qui doit nous conduire à notre première destination. Milngavie se prononce en fait Mullgaye ! Ca commence fort. Pascal et moi qui sommes déjà venus en Écosse, sommes à nouveau séduits par la serviabilité des gens ici alors qu'un passager du bus cherche avec le conducteur à comprendre où se trouve notre logement et où nous devrions descendre du bus.
Le Bunkhouse qui nous accueille est propre et l'hôtesse qui nous reçoit nous annonce la première bonne nouvelle de ce voyage : les midgees, ces petites mouches qui sont le fléau de tout visiteur de ce pays, ont déjà quitté la région ! Les premiers grands vents les ont balayés et nous n'aurons donc pas à nous battre contre eux.
Notre repas est pris au « Barnbrae pub ». Le temps d'une marche digestive jusqu'à notre logement et chacun sombre dans ce premier sommeil à peine troublé par les ronflements des uns et des autres enfin surtout des miens ( hem!).
Samedi 29 septembre – Première étape : Milngavie – Carbeth – Drymen ( 19,2kms)
Après un petit déjeuner écossais au Tesco de Milngavie, nous lançons les machines, départ à l'obélisque, c'est parti pour plus de 155kms sur la West Highland Way !
Ce début est une marche dans les parcs et forêts de la grande banlieue de Glasgow, rien de dépaysant ici mais nous testons nos muscles, l'étanchéité de nos vestes. La gymnastique des vestes à enlever et remettre commence, car la pluie intermittente nous accompagne.
Et pour la première fois nous faisons la connaissance d'un petit groupe de quatre marcheurs, deux hommes et deux femmes. Nous les croiserons tout au long de notre voyage, car ils marchent comme nous jusqu'à Fort William, nous ne le savons pas encore. Mais déjà ils nous étonnent ! Un des hommes nous dépasse chargé légèrement d'un petit sac à dos, une petite bouteille d'eau à la main, le pas rapide, les pieds dans des tongs !! Un promeneur du dimanche ? Un gars qui a trop bu la veille ? Un pari foireux qui doit être tenu ? Les scenarii les plus marrants nous passent par la tête.
Je le baptise « slashman » sans savoir encore qu'il nous dépassera pendant plus d'une semaine avec toujours la même nonchalance, rendant quelque peu dérisoire le sérieux avec lequel nous nous étions nous-mêmes préparés !
Même lorsque la pluie s'arrête, l'élément eau n'est jamais très loin ! Alors qu'une éclaircie réchauffe notre marche nous croisons un groupe de joggueuses. L'une d'elle, tentant d'éviter une flaque énorme dans laquelle nous cherchons à sauver nos chaussures, fait un écart, quitte le sentier et se retrouve le corps plongé dans la tourbe jusqu'à la taille. La main secourable de François la sort de cette situation cocasse qu'elle prend avec beaucoup d'humour. Au moins ainsi n'aura-t-elle plus à se préoccuper de rester au sec le reste de sa course !
Nous rencontrons à la fin de la matinée Pezzy, une américaine du Minnesota, physiothérapeute et un peu seule. Elle se joint à notre rythme de marche, mais nous quitte au niveau de la distillerie de Glencoyne. Nous n'avons pas trop envie de déguster du whisky en plein effort physique et nous poursuivons notre route.
L'arrêt-repas se fait à Carbeth dans un pub qui accueille tous les marcheurs. C'est le seul lieu où nous pouvons nous mettre un peu à l'abri de la pluie, et nous décidons d'y commander une soupe accompagnée de pain. Plutôt cher, mais la pause au chaud et au sec n'a pas de prix.
Rapidement nous reprenons la marche, une marche dans la plaine, on reste dans les campagnes, et je me réjouis de voir arriver les Hautes Terres !
Le soir nous atteignons Drymen. Les cabanes Wig-wams dans lesquelles nous allons dormir sont assez délabrées, ainsi que les sanitaires et autres lieux communs qui sont aménagés sommairement dans une vieille grange. Nous fuyons cet endroit pour rejoindre le village de Drymen à 40 minutes de marche de là pour y faire quelques achats pour les repas du lendemain et profiter d'un peu de confort. Nous élisons nos quartiers au Pottery Pub. Nous y découvrons la bière locale, la Belhaven, « the Cream of Scotland » à la chaleur d'un feu de bois. L'ambiance contraste agréablement avec ce qui nous attend la nuit au wig-wam. Le repas est pris au restaurant du pub. Le retour à nos sacs de couchage se fait dans la nuit et sous la pluie. Nous retrouvons nos banquettes froides et dures. Ce sera une nuit sans rêve pour moi, mon corps a besoin de toutes ses forces pour se réparer des excès que je lui ai fait subir la journée... et la Belhaven était vraiment bonne !
Dimanche 30 septembre - deuxième étape : Drymen – Balmaha – Rowardennan ( 24 kms)
Une pluie battante, chassée par un vent piquant nous agresse dès le lever et nous rappelle que les Highlands sont des terres sauvages et inhospitalières, ce qui fait dire à Pascal : « Rappelez-moi de ne plus venir en Écosse ! ».
Cette matinée de marche est difficile, le décor est encore très urbanisé, nous longeons des routes, traversons des prés, des exploitations forestières, et la pluie incessante nous impose la plupart du temps de baisser les yeux vers nos lacets. Nous grimpons ainsi jusqu'à un sommet appelé Conic Hill , les pieds dans des eaux qui profitent des sentiers pour ruisseler vers la vallée. Arrivés au sommet du versant, le soleil s'ouvre un passage à travers les nuages et les Highlands nous accueillent ici vraiment avec une sublime lumière sur le Loch Lomond. Nous allons longer ce loch pendant deux jours de marche.
Arrivés à Balmaha, nous pique-niquons et je constate que la légère gêne au genou gauche que je sentais en montant est devenue une douleur plus franche et je commence à me demander si cette aventure n'est pas compromise pour moi... Nous reprenons la route, je suis sombre mais j'essaye de ne pas peser sur le groupe...
La route est facile le long du lac, facile pour les pieds mais interminable pour le moral.
À Rowardennan, après une bière au pub nous nous dirigeons vers notre logement. Cette fois, nous logeons à la maison des rangers du Ben Lomond. Un confort 4 étoiles nous y attend, chambres spacieuses, salles de bains, cuisine avec de la nourriture, salon, feu de bois ! Nous faisons la connaissance du ranger qui gère le lieu, un personnage au contact étrange. Mais le fait qu'il nous trouve avec ses pizzas surgelées dans les mains, prêts à les passer au four a peut-être à voir avec son attitude... Christophe qui avait retiré les clés du gîte auprès de la responsable, avait pourtant reçu d'elle la permission de se servir dans le réfrigérateur... réfrigérateur, surgélateur... Le plaisir de trouver tant de confort avait comme transformé la permission en « prenez ce que vous voulez ! »...
Les pizzas rachetées finalement 5 Livres au ranger agrémentent notre repas d'une belle entrée.
Lundi 1er octobre – 3ème étape : Rowardennan – Inversnaid – Inverarnan ( 22,5 kms)
Je me réveille sans douleur au genou. Heureusement, car c'est aujourd'hui la journée réputée la plus difficile du trek.
Nous longeons le lac, d'abord le long d'une route forestière qui s’étire à quelques dizaines de mètres au-dessus du niveau du lac. Pas de difficulté majeure, juste cette impression de longueur interminable, dans cette forêt comme il y en a chez nous, avec malgré tout, de nombreuses cascades traversant la route et qui alimentent ce loch Lomond, le plus grand lac écossais.
Slashman et son comparse nous dépassent une fois de plus lorsque nous arrivons pour midi à Inversnaid. L'arrêt s'impose pour se sécher un peu. Nous nous faisons servir des frites et une soupe copieuse dans la salle de bal de cet hôtel perdu au milieu de la forêt. C'est ici que Pascal apprend la dure nouvelle de l'accident de son beau-père. Nous faisons en sorte que cette nouvelle ne trouble pas trop le plaisir de son voyage.
Nous poursuivons le long d'un sentier superbement sauvage qui nous rappelle par sa difficulté les sentiers que nous avions parcouru en Turquie sur la voie lycienne. Nous longeons le loch Lomond au plus près de sa rive maintenant escaladant puis redescendant au gré des reliefs accidentés de sa rive.
En fin d'après-midi, nous quittons les rives du loch, qui nous salue en ouvrant une brèche dans ce ciel de plomb laissant le soleil allumer les verts, les oranges et les bleus des paysages autour de nous. Nous pénétrons les plaines rouges de fougères puis des bosquets gorgés d'eau pour la dernière heure de marche. Ce sera une course contre la pluie qui ne nous quittera plus. François, Pascal et Bernard, optimistes, n'ont pas jugé bon de remettre leurs vêtements de pluie, croyant être à quelques minutes de la destination du jour. Ils arrivent à Inverarnan trempés jusqu'aux os.
Une autre soirée au pub aide nos muscles à encaisser la journée. Au menu : Guinness et haggis ou panse de brebis farcie, le plat écossais à essayer une fois dans sa vie !
La nuit dans ce petit bunkhouse est difficile, il fait trop chaud mais nous devons absolument faire sécher nos vêtements.
Mardi 2 octobre - 4ème étape : Inverarnan – Crianlarich – Tyndrum ( 19,2 kms )
Une pluie fine nous souhaite le bonjour. Nos vêtements et nos chaussures ne sont pas complètement secs. J'ai envie d'une bonne douche mais elle est trop loin et il fait trop froid. Ce sera pour ce soir. Il est temps de se remettre en route car j'ai l'impression que le vent réveille l'humidité des vêtements et le corps en mouvement nous réchauffera.
Les premiers kilomètres sont monotones, mouillés et pas très jolis. La route nationale A81 qui relie Glasgow à Fort William n'est pas loin, nous entendons le bruit des camions et nous longeons une série de pylones électriques. Je me réjouis de me sentir en pleine nature sauvage, avec en mémoire l'Islande, mais nous sommes en Écosse, et même si les horizons, lorsqu'ils se déploient, sont grandioses, la civilisation n'est jamais loin.
Slashman nous dépasse encore et je découvre en parlant avec une des femmes de leur petit groupe qu'ils sont en fait deux frères et une soeur originaires d'Afrique du Sud. Elle et ses deux frères vivent maintenant en Grande Bretagne et leur mère est venue leur rendre visite. Cette famille est complètement atypique ! Le grand frère marche d'un bon pas en tongs, en short et T-shirt. Le petit frère aussi est en short avec aux pieds de légères chaussures de sport blanches. Les deux femmes avec des sacs à dos énormes suivent ces deux martiens qui déclenchent chez nous sourires et incompréhension. Rien à comprendre pourtant, il aime marcher ainsi, quand ce n'est pas carrément à pieds nus.
La pluie interminable nous accompagne parfois violemment parfois discrètement, mais elle est toujours là. Nous décidons de pique niquer dans un sous-bois profitant d'une accalmie. Nous repartons rapidement pressés d'atteindre notre destination et un lieu confortable, chaud et sec. La pluie est plus violente que jamais aujourd'hui et nous sommes immergés de toutes parts dans l'élément eau. Notre route se trace sur des sentiers convertis en rivières, dans un air humide et sous une pluie battante. Nous dépassons notre amie Pezzy ici dans le silence qu'impose cette pluie qui nous enferme sous nos capuches.
Aujourd'hui mon genou me fout la paix. C'est mon sur-sac imperméable qui me lâche cette fois. Tout est trempé dedans comme dehors.
Les derniers kilomètres verront le soleil gagner sur les nuages et le paysage explosera alors en couleurs d'automne comme seule l'Écosse peut nous l'offrir.
Tyndrum, enfin ! L'auberge de jeunesse est parfaite pour nos besoins : s'asseoir au chaud et sécher, tout sécher ! Nous découvrons le confort de la drying room, une pièce chauffée par un ventilateur qui souffle de l'air chaud dans laquelle chacun peut laisser sécher chaussures et vêtements.
Une bonne assiette de pâtes et un whist plus tard et il est temps de s'effondrer dans des draps frais.
Demain c'est la petite étape de 11 kms. Le plus dur semble derrière nous.
Mercredi 3 octobre – 5ème étape : Tyndrum- Bridge of Orchy ( 11 kms )
Aujourd'hui, nous ne nous précipitons pas. Après avoir pris un petit déjeuner copieux d'oeufs et de lard préparés par Christophe, chacun finit de rassembler ses affaires et termine de réimperméabiliser les chaussures qui ont souffert comme jamais hier.
Il ne pleut pas ! C'est notre première préoccupation car elle détermine comment nous nous habillons. Bien sûr, c'est une précaution un peu inutile car depuis le début de notre petite aventure nous aurons changé de couches de protection plusieurs fois par jour. Et le temps du matin ne présage en rien du déroulement de la journée de toute manière. C'est juste peut-être un avantage psychologique sur l'épreuve qui nous attend.
Il faudra rapidement remettre nos survêtements imperméables mais c'est aussi le premier jour où, après l'averse, nous profitons d'une large éclaircie qui nous permet de goûter du bout des yeux ce qui nous attend dans les jours à venir. En effet, les hauts sommets des Highlands se profilent au loin devant nous. Le territoire que nous traversons se désertifie et même si, lorsque se dissipent les nuages qui les coiffent, nous découvrons des sommets enneigés, nous nous réjouissons à l'idée de pénétrer ces terres isolées.
Bridge of Orchy, notre destination de ce jour, n'est pas un village à proprement parler. Il y a ici, une gare, trois maisons, un hangar qui abrite le camion de pompiers ainsi que la camionnette de la Poste et l'hôtel de Bridge of Orchy. Somptueuse maison abritant un hôtel 4 étoiles. Nous choisissons malgré tout les bunkhouses plus modestes mais plus dans l'esprit de notre voyage, sans pourtant bouder le plaisir de profiter du pub et du restaurant le soir.
Ce voyage est robuste mais subtilement agrémenté du confort très british que sont ces pubs chaleureusement décorés.
Jeudi 4 octobre – 6ème étape : Bridge of Orchy – Inveroran – Kingshouse ( 21 kms )
Au petit déjeuner nous vérifions les disponibilités à Kingshouse, le seul logement à notre arrivée ce soir. C'est complet ! Tout à fait inhabituel à cette époque-ci de l'année ! Vite nous cherchons une alternative.
La réceptionniste nous propose une solution qui nous intéresse. Des « maisons de Hobbits » viennent d'ouvrir à Glencoe, juste en face du Kingshouse Hotel.
Nous profitons finalement de cette opportunité inconnue de tous. Il y a des places disponibles et nous n'aurons pas à quitter en taxi le site de Glencoe pour un hypothétique hébergement à plusieurs kilomètres de là.
Nous entamons donc cette étape longue de 21 kms l'esprit tranquille. Et c'est tant mieux car les paysages qui se déroulent à pas d'homme devant nos yeux sont grandioses et l'on se surprend à imaginer ici les Highlanders maître des lieux chassant le cerf rouge, s'abreuvant aux rivières dans l'innocente violence des civilisations naissantes. Ici César et Rome sont restés interdits. C'est terre vierge, terre des Celtes et des peuples du Nord, des Vikings et des Elfes. Il me vient à imaginer que les Écossais et les Highlanders seraient peut-être les derniers indiens de notre vieille Europe, avec leurs cousins islandais et c'est ce qui me rend leurs terres si attirantes...
La pluie signe une trêve avec nous, trêve qu'elle n'enfreindra qu'à quelques reprises et nous profitons de ces éclaircies pour photographier ces horizons sachant néanmoins que ces images ne remplaceront pas l'expérience que nous vivons tous les cinq. Pierrot n'est pas là et c'est dommage.
C’est ici que nous faisons la connaissance d'une autre personne croisée le long du parcours. Il s'agit de Tessa, une petite dame d’un certain âge et qui nous invite à poser pour une photo avec elle au sommet d’une des buttes que nous venons de gravir. Elle a 70 ans aujourd’hui et François apprendra plus tard qu’elle est anglaise résidant actuellement à Toronto. Ce trek est le cadeau qu’elle s’est offert pour son anniversaire ! Elle n’en est pas bien sûr à sa première expérience, c'est une marcheuse confirmée, mais nous sommes tous admiratifs et heureux de découvrir que l’âge peut ne pas être un obstacle pour gravir des montagnes !
Notre rythme de marche s'est maintenant fortifié et nous arrivons bien plus tôt que prévu à Glencoe. Après avoir posé nos sacs dans nos petites maisons rondes nous finirons l'après-midi au chalet du remonte-pente mécanique de Glencoe Ski Resort, réchauffés par un bon feu de bois et l'ambiance chaleureuse de notre petit groupe. Quelques parts de Poker plus tard, nos corps fatigués demandent d'amener la nuit réparatrice et nous nous plongeons dans nos sacs de couchage.
Vendredi 5 octobre – 7ème étape : Kingshouse – Kinlochleven ( 14,5 kms)
Le réveil est matinal, nous apprécions le premier lever de soleil sur les Highlands. Je pense que ce pays a décidé que nous avions assez souffert et que nous méritions d'entrer dans son intime beauté : montagnes immobiles baignées d'un soleil rouge horizontal, percées de ciel bleu à travers des voiles de nuages aux textures complexes et aux riches palettes de gris. Il devient dur de marcher et profiter du paysage à 360°.
En atteignant le « Devil's Staircase », l'escalier du Diable et la difficulté de la journée, le temps a encore changé et c'est sans soleil que nous attaquons la montée, lentement, sans y laisser toutes nos forces nous atteignons le sommet. Christophe avale pour sa part cette ascension au pas de course sous le regard médusé des autres marcheurs. Je me demande quel surnom les autres lui ont donné ! Nous repartons sans nous attarder car le vent décoche ici de méchantes bourrasques.
La descente vers Kinlochleven est lente et se termine de manière plus abrupte. Tessa d'abord, Pezzy ensuite, nous retrouvons au rythme de notre marche l'une puis l'autre, c'est l'occasion d'échanger quelques mots.
Aujourd'hui aussi nous arrivons assez tôt dans l'après-midi au village. Nous faisons notre petit briefing quotidien devant une Guinness pour Bernard et moi, un cidre pour Christophe, une bière pour François et Pascal.
Après quelques spaghettis volés ;-) nous retrouvons le bunkhouse où nous logeons. Avant de s'allonger pour la nuit, un petit billard au pub, histoire de goûter à toutes les dimensions de la culture britannique...
Samedi 6 octobre – 8ème étape : Kinlochleven – Fort William ( 24 kms)
Ca y est, c'est la dernière étape, ce soir nous aurons traversé à pieds sur plus de 155 kms ces Highlands de légende.
Physiquement, je me découvre une force insoupçonnée et les peurs que mon corps me lâche par les genoux ont disparu. Je me sens prêt pour avaler d'autres kilomètres s'il le fallait et je me surprends à rêver... Rejoindre à pieds les Hébrides ou les îles Shetland, un jour pourquoi pas...
Mais pourquoi ? Pourquoi l'homme cherche-t-il toujours à atteindre ces limites géographiques là où l'océan de terre prend fin et où commence l'autre océan, ce grand mystère salé? Tous ces finistères, ces finis terrae...
Au hasard de mes randonnées intérieures j'avais rencontré cette phrase dans un livre : « Ne vivez pour l'instant que vos questions. Peut-être simplement, en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement dans les réponses ». Je me dis ce matin que j'ai déjà quelques fois couru vers ces fins de terre et pourtant je reste toujours autant fasciné par ces lieux où s'impose le constat : « voilà, tu es allé aussi loin que tu le pouvais, tu as atteint les limites que ton corps seul peut te permettre d'atteindre ». Mais les fins de terre atteintes par le marcheur sont ce lieu où l'on rencontre la limite, sa limite, telle que notre condition d'Homme nous l'impose.
Nous quittons vers 9 heures notre refuge pour attaquer cette dernière étape par une ascension corsée qui nous extrait de la cuvette dans laquelle est logée Kinlochleven et son lac. Ensuite, le cadeau d'une large plaine bordée de sommets sauvages et rocheux s'offre à nous pour les quelques heures suivantes. Ce sentier est facile et nous marchons ici le plus souvent seuls chacun pris par son rythme et peut-être par ses pensées. Christophe cavale devant, Bernard essaye de concilier l'épreuve de cette dernière marche avec les douleurs des nombreuses ampoules à ses pieds. François et Pascal sont derrière. Et moi là quelque part au milieu du groupe, je suis repris par mes soucis de la vie qui m'attend lundi... Je me rends compte que l'espoir de me voir régénéré après ces 10 jours avait été une illusion. Ceci n'est pas la vraie vie, même si elle en a la force brute, réduite à ses plus simples éléments : marcher, boire, manger, dormir, chercher son chemin, ne pas flancher.
Cela ne reste qu'une parenthèse, et même isolés comme nous le sommes, perdus dans ces paysages simples et bruts, il est dur de lâcher prise, de faire le vide car on sait que dès le moment où la parenthèse sera refermée, le fil de la vie reprendra exactement là où on l'avait laissé. Je me rends compte que j'ai besoin d'autre chose, mais quoi... ? Je suppose que c'est la question que me posent, que m’imposent les esprits des Highlands.
Nous nous retrouvons un temps pour marcher en groupe, traversant une sapinière dévastée par l'exploitation forestière. Il ne reste au sol que quelques dizaines de centimètres de ces sapins encore accrochés à leurs racines, comme autant de stèles d'un cimetière d'arbres. C'est un peu triste.
Nous faisons une halte pour pique-niquer, du pain, du fromage, du chocolat dans une aire dégagée avec le Ben Nevis, sommet de Grand Bretagne dans notre dos.
Il nous reste à le contourner en passant dans une forêt de sapins et de chênes. Le sentier serpente en une pente douce dans cette forêt dense, si dense que je la sens comme habitée. Les mousses d'un vert surréaliste habillent les arbres formant des masques sur les troncs et les tapis de trèfles sont irrigués par de petits filets d'eau noire.
Je crois sentir la présence de leurs esprits et je m'attends à tout moment à voir surgir une merveilleuse nymphe de cette forêt. Je prends plusieurs photos espérant que mon appareil révélera ce que mes yeux seuls ne voient pas...
Sorti de ce bois, le parcours prendra la forme d'une route forestière somme toute assez banale jusqu'à notre arrivée sur la route nationale et le retour à la civilisation, encore toute relative de Fort William.
En longeant la route pendant quelques kilomètres, nous sommes néanmoins violemment agressés par la vitesse des voitures. C'est là aussi que nous sentons peut-être l'effet régénérateur de ces dix jours à pas d'homme.
À Fort William, nous laissons nos deux organisateurs, Pascal et Christophe, se charger de trouver l'hébergement alors que nous commençons à penser à ramener un objet souvenir à nos chères et nos chers petits. J'aime, même si c'est parfois difficile, cette dernière quête pour l'objet qui fera sens pour eux. Comment ramener la quintessence de ce voyage ?
Je suis assez content de ma trouvaille, deux broches de kilt en forme d'épée arborant le symbole et la devise des clans des Highlands. Pour Nathan, le coquillage et « Amicitia reddit honores » du clan des Pringles et pour Hugo, la lyre et la devise des Rose, « Constant and True ». Pour Anne, une spirale d'argent à porter au cou, comme ces sentiers qui ont serpenté pendant dix jours.
Dimanche 7 octobre – le retour.
Après nos derniers achats et un dernier repas au Crofter, pub fameux de Fort William, il est temps d'embarquer dans le taxi pour l'aéroport.
Commence alors l'étrange expérience de voir défiler notre route de ces dix derniers jours en marche-arrière rapide à travers les vitres de la voiture. En effet, pour une bonne part, nous avons longé de près ou de loin la route nationale A 81 et nous égrenons minute après minute la plupart de nos pas : Kinlochleven, le devil's staircase, Kingshouse, Bridge of Orchy, Tyndrum, Inveraran ; puis face à nous, sur l'autre rive du long et interminable loch Lomond, Inversnaid, Rowardennan, Balmaha...
La vitesse de la voiture et le défilement du paysage donne une dimension plus large encore de ce pays. Finalement le pas d'homme transforme trop lentement l'horizon pour que certains sens en mesurent toute l'étendue. La marche c'est pour les sensations du toucher, de l'odorat, du corps et puis seulement de l'oeil. La voiture à 80km/h c'est d'abord pour l'oeil et peut-être uniquement pour lui, les autres sens étant au repos...
Ce voyage ne pouvait se terminer sans cette dernière sensation visuelle !
À Glasgow, nous avons une nouvelle pensée pour Pierre qui est le premier à poser sa tête plastifiée dans le décor en trompe-l'oeil pour une dernière séance de photos clin d'oeil.
Christian
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