Alors que s'annonce timidement un 4ème volet de Matrix, je vous propose de lire en guise de mise en bouche une interprétation jungienne de la trilogie des années 90's.
J'avais traduit ce texte de Flynn il y a maintenant probablement une petite dizaine d'années.
« Tu es un esclave Neo, comme tous les autres, tu es né enchainé. Le monde est une prison où il n'y a ni espoir ni saveur ni odeur, une prison pour ton esprit! Et il faut que tu saches que, malheureusement, si tu veux découvrir ce qu'est la Matrice, tu devras l'explorer toi-même… N'oublie pas, je ne t'offre que la vérité, rien de plus »
« J'aimerais libérer ton esprit Neo! Mais je ne peux que te montrer la porte, c'est à toi qu'il appartient de la franchir »
(« Matrix » dir. Les frères Wachowski, 1999).
« Les contes aujourd’hui ne sont plus racontés aux enfants ni aux adultes comme à une certaine époque, à la lueur d’une bougie ou à l’occasion d’un rassemblement rituel autour du totem clanique. Maintenant on va les voir en famille au cinéma ! »…« Les contes traditionnels évoquaient des enjeux de société et diverses formes d’initiation à la vie adulte, certains films jouent aujourd’hui le même rôle. Ils rendent visibles ces enjeux ». C’est le psychanalyste Serge Tisseron qui écrivait cela récemment (1).
Je souscris assez à cette conception qui prête au cinéma un rôle – parmi d’autres - de narrateur moderne des contes et mythes. Et, comme lui, je déplore plutôt le sort réservé aux récits imagés qui furent longtemps considérés comme menaçant chez l’enfant son désir et sa capacité de se créer ses propres représentations. Souvent vu comme art mineur comparé à l’art de l’écrit, il est pourtant facile de faire le constat que, depuis l’avènement des nouveaux supports imagés de récits en tout genre (cinéma, TV, BD..) dans notre société, les créateurs d’images n’ont jamais été aussi nombreux. Pas d’assèchement donc de la production des images mais bien un foisonnement qui soulève bien sûr un tas de questions pour un autre débat.
Le cinéma comme support moderne pour raconter les grands mythes humains ? Georges Lucas est un témoin de poids!
Lucas ne cache pas s’être fortement inspiré pour sa trilogie Star Wars des différentes étapes du voyage initiatique du mythe du héros mis en lumière par Joseph Campbell dans son livre « le Héros aux Mille et un visages » de 1949 (http://www.moongadget.com/origins/myth.html ) . Ce mythe, fondamental aux
« Réveille-toi Neo » : Matrix et C.G. Jung 2
yeux de Campbell, inspira depuis lors de nombreux conteurs modernes que cela soit dans le cinéma, la littérature ou la musique (http://en.wikipedia.org/wiki/Monomyth ).
On peut avoir adoré ce film simplement comme un de ces grands spectacles hollywoodiens mêlant la science-fiction, le film d’action, la romance, le tout bourré d’effets visuels géniaux… Mais rapidement on se sent interpellé par un autre niveau de lecture et on se questionne sur le sens qui vit sous le brillant de l’apparence. Et à ce niveau Matrix n’est pas n’importe quel film, ne serait-ce que parce que les frères Wachowski qui l’ont réalisé avaient clairement l’intention de faire un « film d’action intellectuel » et de le charger du plus grand nombre d’idées possible (2). L’intention ne garantissait bien sûr pas la réussite, mais le grand nombre d’articles et livres qui ont fleuri autour de ce film prouve qu’ils ont peut-être bien touché leur cible ! Alors, face à ce film au style baroque post-moderne, on peut soit rester sur l’impression que cette fresque syncrétique mythico-philosophico-religieuse est indigeste, soit se décider à suivre un invisible fil d’Ariane et tracer une interprétation qui n’exclura pas celle d’un autre visiteur du labyrinthe qui aura choisi un autre fil… Chacun suivant son film dans ce patchwork multisémique.
Un article de Simon Danser que l’on peut trouver en anglais sur internet (3) illustre bien le niveau polysémique de ce film. Et en français on épinglera l’intéressant ouvrage collectif « Matrix machine philosophique » dans lequel le film est vu comme un terrain de jeu expérimental pour un grand nombre de préoccupations philosophiques classiques sans les illustrer de manière toute faite: le mythe platonicien de la caverne, la liberté et le déterminisme, les préoccupations spirituelles (« le tao et la matrice », « les dieux sont dans la matrice »), l’aliénation aux machines (« Mécanopolis, cité de l’avenir »). (4)
Tous ces fils ont été passionnants à suivre, mais personnellement j’y voyais aussi une illustration moderne de la trame d’un processus d’individuation. Je fus heureux de découvrir que d’autres avaient suivi ce même fil ( Jake Horsley (5), Tom Flynn ). Je vous propose la traduction d’un article de Tom Flynn qui m’a paru passionnant à cet égard même si parfois j’aurais « pris à gauche là où lui décide de prendre à droite ».
Au début du film, alors qu’il se trouve dans un état de confusion qui n’est pas sans rappeler les moments propices à l’apparition de phénomènes synchronistiques, Neo décide de suivre le lapin blanc tatoué sur l’épaule d’une femme… Je vous invite à lâcher le niveau conscient du film pour suivre Tom Flynn et plonger dans le terrier…
Christian Poelmans
Texte téléchargeable ci-dessous.
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