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Writer's pictureChristian Poelmans

Un jour à Maldon

Updated: Feb 20, 2021

Un autre extrait du passionnant livre de Wu Ming "Le héros imparfait". Un livre sur l'archétype du héros, la force de la littérature, l'importance de faire place à une mythopoièse créative et alternative aux narrations dominantes où le canon héroïque contemporain est un masculin conquérant orgueilleux jusqu'à la mort, destructeur et écologiquement auto-destructeur... Ce texte peut ainsi se lire comme illustrant une métaphore de l’hubris et de la némésis de notre époque; comme un témoignage supplémentaire que notre conscience héroïque virile poussée à son paroxysme absurde ( ici à Maldon, le seigneur orgueilleux qui soumet l’Autre pour la postérité de son honneur) doit mourir ( être décapité a aussi tout son sens quand on sait la relation entre orgueil et la pensée des modernes), et laisser la place, après la fuite dans la "forêt" ( foris en latin hors cité) à un héroïsme souple, plus proche de la nature, et du monde des éléments, plus proche de l’âme et du féminin ( voir Tacey p200 de son essai "Edge of the Sacred. Jung, Psyche, Earth" et le chapitre de Wu Ming sur les héros du Seigneur des Anneaux aussi dans " le héros imparfait" traduction en vf ici sur ce même blog), proche de l’intuition et du sentiment, des valeurs de la terre et du corps, une issue dans l'intégration du masculin et du féminin ou en des termes moins sexistes une intégration des énergies Yin et Yang.



Ici en intro le texte qui présente l'objectif du livre de Wu Ming en vf traduit par moi comme j'ai pu. La partie sur les héros de Maldon est dans un pdf ci-dessous, en texte bilingue italien-français. J'ai adoré prendre le temps de traduire ce nouvel extrait et d'autres morceaux suivront, notamment celui sur Ajax, Achille et Ulysse me tente beaucoup.

Le livre de Wu Ming est disponible sur leur site en format pdf ic en version copy-left





Au cours des siècles, la narration d’histoires a été tant une chose sérieuse qu’un passe-temps insouciant. Une année après l’autre, les histoires sont conçues, soumises à l’écriture, dévorées puis oubliées. Que leur arrive-t-il ensuite ? Certaines survivent, et alors, comme les graines dispersées par le vent, elles volent de génération en génération, diffusant de nouvelles histoires et dispensant une nourriture spirituelle à de nombreux peuples. La plus grande partie de notre héritage littéraire nous est arrivé de cette façon, depuis des époques inconnues et éloignées, et des coins méconnus du monde. Chaque nouveau poète ajoute quelque chose de la substance de sa propre imagination, et les graines ainsi nourries se remettent à vivre. Leur capacité à germer est vivace, elles attendent seulement d'être stimulées. Et ainsi, bien que parfois certaines variétés semblent avoir disparu, elles réapparaissent un jour, jetant à nouveau à la vie leurs pousses caractéristiques, fraîches et vertes comme avant.

Heinrich Zimmer, Le Roi et le Cadavre 1948


Prémisse


Le conteur quelle que soit l’époque se donne pour tâche de mettre en perspective les survivances mythiques du passé, il les redécouvre ou les laisse tomber selon qu’elles sont réclamées par le présent. Au-delà du fait que ce que les archétypes littéraires peuvent rendre visible des caractères de la psyché humaine, c’est cette incessante réécriture qui assure leur longévité.

Il est évident que retracer les récurrences de certains thèmes et mythologèmes pour essayer des les réinterpréter est une activité très différente que de faire des hypothèses sur le retour éternel d’une symbolique mythique immuable (ou sacrée).

Il n’est en effet pas question de raconter la même chose, mais de faire évoluer le point de vue, l'angle à partir duquel on lit et on raconte le destin universel, à travers les histoires qui sont parvenues jusqu'à nous.

La recherche constante de nouvelles pousses, c’est-à-dire de nouvelles idées et approches, dans la littérature qui nous a précédés, est un moyen de réaffirmer l'immanence du récit par rapport à l'ici et maintenant.

Qu’ont en commun un orientaliste britannique romantique, un rude guerrier anglo-saxon, un ancien prince achéen, un chevalier de la Table ronde, un célèbre pirate des Caraïbes et un hobbit de la Comté? Peut-être rien de plus qu’un mince fil d'Ariane qui traverse les époques et les œuvres littéraires revisitées dans ces pages et qui suggère néanmoins une réflexion sur le rôle du héros dans contexte narratif.

Lawrence d'Arabie, Byrhtnoth fils de Byrhthelm, Ajax Télamon, Sir Gawain, Henry Morgan, Samwise Gamgee, sont les protagonistes des trois textes de ce livre. Rassemblés, ces trois textes ne constituent pas un essai, car ils n’ont pas été écrits comme une suite d’arguments articulés pour soutenir une thèse.

Cependant, ils sont reliés entre eux par une thématique constante:

l'idée qu’alors que le héros reste indispensable aux récits, il ne s’agit pas d’une figure accordée (évidente ? univoque ?), mais inévitablement problématique, aux facettes multiples et contradictoires. Du point de vue d'un narrateur-lecteur, cette constatation conduit à ne pas se contenter de ce qui apparaît à la surface des textes et d'enquêter sur l’archétype pour faire des découvertes intéressantes et utiles. L'approche de ces textes est donc tout à fait pratique.

Le premier a été conçu comme une contribution à un projet appelé «Reloading images Damascus », et lu (en anglais) au hammam Al Malik Al Zahir Damas le 17 octobre 2008. Il s’agit d’une déconstruction de la figure de Lawrence d'Arabie, qui retrace l’origine de l'ambiguïté du personnage à travers les mêmes éléments littéraires dont il est composé. En examinant l'histoire de la première pop star contemporaine j’ai tenté d'en identifier les contradictions dans les caractéristiques mythopoétiques avant même celles qui ont habité le versant politique du personnage, ou d’établir un lien entre les deux. À la fin, le texte se termine par l'évocation d'une autre figure archétypque: le survivant, celui qui part à la dérive après une catastrophe, et qui cherche à atterrir.

Le thème est repris dans le deuxième texte, il s’agit d’une intervention

à la Faculté des arts, Università Statale de Milan, le 19 Novembre 2008, à l'invitation du collectif L.a.p.s.u.s. - Et reprise également au Centre de Cultura Contemporanea de Barcelona 6 Février 2009, dans le cadre du festival "The Influencers ". La conférence s’appuye sur le poème médiéval « La Bataille de Maldon », et sur les célèbres fins réécrites par Tolkien et Borges, l’une comme l’autre mettant en évidence la puissance stratégique de la parole en relation avec l’histoire et sa signification politique. À la suite de la contribution Tolkinienne j’ai tenté d’imaginer une thématique de la radicalisation, basée sur l’interversion des rôles du héros et de l’anti-héros. Le survivant se transforme en rebelle qui rejette l'affrontement direct et choisit la guérilla du maquis, anti-élitiste et donc anti-héroïque, choisissant de sacrifier l’idéalisme au profit du bien commun.

La troisième étape est une recherche sur la relation entre le héros et les personnages féminins, menée à travers quatre œuvres: une tragédie classique (Ajax), un poème médiéval (Sir Gauvain et le Chevalier Vert), et deux romans du XXe siècle (La Sainte Rousse ( ?) et Le Seigneur des Anneaux). Un thème récurrent serpente entre les plis de la poésie et de la prose, et finit par identifier un héroïsme qui fait de la relation avec la composante féminine du mythe le véritable point fort et la base d'une nouvelle théorie du courage, loin de l'éthique guerrière et sacrificielle. Dans cette vision, le fugitif qui était devenu guerriero devient un semeur, dévoué non seulement à sa propre survie et à celle de son combat, mais aussi à la vie dans ses formes les plus riches et variées. La crise de l'idéologie héroïque fait ressortir donc un «reste» ( une attitude ? une dimension ?) qui n’est pas nécessairement un encombrant excédent qui serait contaminé, pollué par la médiocrité bourgeoise, mais qui au contraire incarne l’attitude de critique et de dépassement du prototype masculin traditionnel.

Au final, ce processus en trois étapes à travers les récits ne prétend pas définir un canon alternatif. Il tente plutôt de fournir un point de départ pour sortir de la fausse dichotomie à laquelle on voudrait aujourd’hui se voir condamné, d’une part le monopole présumé de chaque

approche épique-narrative des visions confessionalistes et grossièrement idéologiques, visions qui soumettent les histoires à un perspective allégorique et téléologique; d’autre part le désenchantement postmoderne et le minimalisme de l’humain sans qualités. Ce qui disparaît dans cette représentation du monde c’est le sens d'un récit commun qui serait une source d'inspiration fondatrice, en réel conflit avec le donné, ou un principe collectif d'espoir loin du dogme et de l’obsession identitaire.

Dans cette perspective, il n’est pas inutile d'essayer de retrouver dans la littérature épique - ancienne et moderne – les figures en fuite face au rétrécissement du présent. Les lectures recueillies ici font ressortir à côté des personnages célèbres certains personnages "secondaires" qui affrontent les contradictions de l’icone héroïque sur le terrain même qui l’a fait naître. Ces personnages nous disent que le personnage du héros peut être une figure présentant le mythe sous une nouvelle lumière; loin de la vision prométhéenne, centrée sur l’image du meneur viril et sauveur; et tout aussi éloigné de la figure froide et ironique du pastiche, qui a en horreur chaque moment fondateur, et déguisé dans l’habit du pessimisme rationaliste ce qui est en fait pessimisme de la volonté.

Revenir aux anciennes questions, en redécouvrant l'inévitabilité de la contribution du féminin dans l'entreprise héroïque et développant une théorie du courage libre de tout mysticisme, c’est ce qui s’offre à la survie d'une vision épique, chorale, de l’agir collectif, dans la littérature comme dans l'histoire.

C’est un chemin qui monte. C’est peut-être même une entreprise de grimpeurs. Et certainement le prix à payer ne peut pas être abaissé.

WM4

Bologne, printemps 2010





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